LINE UP
Anne Paceo : batterie, voix
Cynthia Abraham : voix
Gildaa : voix
Zacharie Ksyk trompette
Christophe Panzani : saxophone
Gauthier Toux : piano & OB6
Oxy : moog & prophet
Feat :
Laura Cahen : chant
Piers Faccini : chant
Atlantis : Une île gigantesque reçue par Poséidon, dieu des océans, lorsque les anciens dieux se partagèrent la Terre, elle fut engloutie par un cataclysme vers 9600 av. J.-C. Selon la légende, la corruption et le matérialisme de ses habitants causèrent sa destruction. Reflet d’un monde aux politiques aussi absurdes qu’anéantissantes, dénué de toute conscience environnementale. Ce n’est donc pas un hasard si Anne Paceo a nommé ce nouvel album Atlantis.
Été 2022 : Enthousiasmée par une première expérience de plongée, la compositrice et batteuse française part au Portugal pour plonger au cœur de l’océan. Dans une eau à la fois glacée et trouble, elle découvre une émotion proche de l’extase, définie par Romain Rolland comme une « perception océanique ». C’est un mélange de sensations, entre apesanteur, plénitude et dissolution du temps. « C’est un endroit, ici, où l’on se quitte soi-même », écrit Alessandro Barrico dans Océan mer, que Anne Paceo a adoré lire. Ce que tu es se détache doucement de toi, petit à petit. Et à chaque pas, tu le laisses derrière, sur cette rive qui ne connaît pas le temps et ne vit qu’un seul jour, toujours le même. Le présent disparaît, alors tu deviens mémoire.
Dans les mois qui suivent, Anne rêve de l’océan, s’endort en pensant à ces nouvelles sensations, « ce point de bascule », dit-elle, « quand on descend dans les profondeurs, quand le corps et l’esprit ne sont plus que de l’eau, quand le cœur et le temps ralentissent, quand le cerveau cesse de penser pour ne plus ressentir que le corps, le son des bulles. »
L’eau devient ainsi un symbole de renouveau et un lieu de contemplation, inspirant la naissance de nouvelles compositions. Il y en a treize, qui nous invitent, chacune à leur manière, dans un voyage chimérique et apaisant. Réalisé par Anne Paceo, Atlantis se distingue par la finesse de sa construction. Autour d’elle, Christophe Panzani au saxophone ténor, Zacharie Ksyk à la trompette, Gauthier Toux aux claviers et Oxy aux synthétiseurs. Enregistré au studio Pigalle à Paris après de longs mois de tournée, l’album est guidé par le désir de rentrer chez soi le soir. L’envie de se plonger (encore et encore !) dans l’œuvre en devenir… y compris le mixage, auquel plus de temps qu’à l’accoutumée a été consacré.
Malgré la vitalité de l’improvisation, caractéristique du jazz, rien n’est laissé au hasard, aucun détail n’est négligé. Ce n’est guère surprenant de la part d’une artiste couronnée de trois Victoires du Jazz et faite Chevalier des Arts et des Lettres.
Atlantis assume une ambition pop et une texture hybride. Anne a écouté de la folk à la manière de Joni Mitchell et Patrick Watson ; Björk bien sûr, pour les textures sonores ; l’électro de Steve Reich ou Oneohtrix Point Never ; le lyrisme disparate de Bon Iver et les explorations synthétiques de James Blake, entre autres. Mais ses références ne sont pas uniquement musicales, ce qui contribue à la grande profondeur narrative d’Atlantis, nourrie de textes percutants, de Ultramarins de Mariette Navarro à The Black Atlantic de Paul Gilroy.
Et puisqu’il s’agit de lâcher prise, au-delà du paradigme marin, Anne Paceo a laissé sa rétine s’imprégner des images de Wong Kar-Wai, pour son traitement de la couleur, pour sa capacité à transformer le réel en univers onirique ; de David Lynch pour ses structures cycliques, que l’on retrouve dans Atlantis… et ses retournements constants. « Moi aussi, je cherche un chemin qui ne soit pas le mien, un carrefour d’idées musicales, un croisement des genres », affirme Anne Paceo.
Elle a puisé dans des enregistrements sonores comme des codas de cachalots, des chants de baleines, le ressac des vagues, etc. Mais aussi dans le travail collaboratif, si cher à Anne Paceo, pour qui être artiste solo ne doit pas restreindre l’horizon créatif. Elle a ainsi convié des chanteuses qu’elle connaît bien à l’accompagner sur scène et en studio : Gildaa et Cynthia Abraham, ainsi que la plume de Sandra Nkaké et Billie Bird. Deux nouvelles collaborations ont émergé : en travaillant sur « Tant qu’il y a de l’eau », Anne a entendu la voix et les mots de Laura Cahen, qui s’est prêtée au jeu avec bonheur. Quant à Piers Faccini, il a également répondu à l’appel d’Anne sur « Restless », évoquant le manque de l’océan chez une personne en quête de paix intérieure.
Il y a enfin la voix d’Anne. Sur « Love Song », elle dévoile à nouveau la beauté de son timbre, elle qui longtemps pensait qu’il n’était pas légitime pour elle de chanter, incarnant pleinement mais simplement cet amour qu’elle déclare « au creux de l’oreille ». Une voix supplémentaire, la sienne, célèbre le lien à l’autre.
C’est finalement ce que la musicienne française a toujours cherché. Qu’il s’agisse de la mer, de la matrice, du grand bleu ou de l’éphémère du temps, l’intime et le politique restent intrinsèquement liés.
À l’écoute de cette Atlantis imaginaire dessinée par Anne Paceo, on se laisse transporter avec bonheur par une tendance pop, familière, et pourtant enivrante d’exotisme. En des temps saturés de violences constantes, de toutes sortes, c’est précisément ce dont nous avons besoin pour reprendre notre souffle.